JF : Cher ami, tu es bien matinal aujourd'hui.
Rakaniac : Bonjour Jean-François, connaissant ta verve, je pense qu'il vaut mieux se lever tôt pour t'écouter car j'imagine que tu as encore beaucoup de choses à dire.
JF : Oui, le sujet est tellement vaste et me connaissant, lorsque j'aurais terminé cette série d'articles j'aurais encore des craintes d'avoir oublié certaines choses.
Rakaniac : sacré Jean-François, tu ne changeras donc jamais.
JF : Dans mon article précédent, j'avais parlé d'une relative acalmie de la musique celtique en Bretagne.
Il faut tout de même préciser que le folk revival des années '70 avait fait découvrir cette musique celtique au reste de l'Europe de l'Ouest.
Et que depuis lors il y a des groupes qui pratiquent cette musique dans toute la France mais aussi en Belgique, en Allemagne, en Italie, en Hongrie...
De leur côté les Irlandais et les Ecossais n'ont jamais cessé de jouer leur musique.
Soutenus comme il se doit par leurs nombreux "frères" répartis sur les autres continents.
Rakaniac : sur les autres continents ?
JF : oui je parle ici de tous les Irlandais et Ecossais qui ont émigré aux Etats-Unis, au Canada et en Australie.
Comme tu le sais la population actuelle des U.S.A. a été constituée il y a plusieurs siècles de façon multi-raciale par des Européens, des Africains, des Asiatiques...
Dedans bien sûr de fortes colonies irlandaises et écossaises qui avaient déserté leur pays pour des raisons politiques et économiques.
Une fois installés, ces gens ont essayé de reproduire (du moins en partie) les modes vie qui étaient les leurs sur le vieux continent.
La pratique de la musique traditionnelle s'est donc partiellement maintenue dans ces communautés.
Rakaniac : donc la musique irlandaise et écossaise se joue toujours aux U.S.A.
JF : il faut préciser que cette musique a pris une double direction.
D'une part celle de l'évolution et d'autre part celle de la continuité.
Rakaniac : c'est à dire ?
JF : plongées dans un autre environnement, avec l'influence d'autres musiques (jazz, blues, ragtime, bluegrass...) ces musiques tradtionnelles se sont peu a peu transformées devenant de la
musique square-dance, western, country...).
A côté de cela, cependant d'autres chanteurs et musiciens "purs et durs" ont continué de jouer les gigues et les reels dans le plus pur style de la musique trad.
Des musiciens comme les Clancy Brothers (cités plus haut), le joueur de banjo Mick Moloney, le chanteur Robbie O' Connell, le multi-instrumentiste Seamus Egan (fondateur du groupe Solas) et tant
d'autres.
Des artistes qui aiment se produire tant en Europe qu'aux U.S.A.
Rakaniac : Et donc j'imagine que le même phénomène s'est produit pour le Canada, le Québec, l'Acadie ?
JF : oui bien sûr au départ ils jouaient les mêmes morceaux puis il y a eu toute une série de nouvelles compositions qui n'arrêtent pas d'enrichir le répertoire.
Au Québec il est d'ailleurs amusant de constater que toute cette population francophone mais entourée d'anglophones a une double culture musicale.
Leurs chansons sont en Français mais leurs musiques sont des reels des gigues, des hornpipes comme leurs homologues Canadiens.
Rakaniac : et en Australie ?
JF : Là c'est un peu moins développé mais il y a aussi des groupes qui font de la musique irlandaise et des musiciens qui jouent dans des pipe-bands.
Rakaniac : je comprends mieux à présent lorsque tu parlais du "soutien" des musiciens des autres continents.
JF : mais il est temps à présent de parler de la deuxième vague Bretonne.
Une série d'artistes vont de nouveau faire parler d'eux cette fois dans les années '90.
Durant cette décennie, les groupes phares de la musique Bretonne (Tri Yann, Gwendal, Triskell, Sonerien Du, Diaouled Ar Menez...) vont tour à tour fêter leurs 20 ans d'existence.
Vingt ou vingt-cinq ans sur les scènes de Bretagne et d'ailleurs avec déjà de très nombreux disques et concerts à leur actif.
Ces musiciens sont toujours là mais entre temps, de nombreux autres sont arrivés qui se sont fait une place plus ou moins importante dans le paysage des musiques celtes.
Des harpistes (Kristen Nogues, Gwenael Kerleo, le duo Sedrenn, Dominic Bouchaud, Myrdhin, Jakez François...)
Des guitaristes (Soïg Siberil, Bernard Benoit, Jean-Charles Guichen, Gilles Le Bigot, Jacques Pellen, Nicolas Quemener...).
Des violonistes (Jacky Molard, Christian Lemaître, Pierrick Lemou...).
Et d'autres et bien d'autres.
En 1993, Alan Stivell décide de ré-enregistrer ses anciens succès avec d'autres musiciens (y compris des artistes issus de la variété).
Ce cd "Again" est très bien accueilli par le public et annonce clairement cette nouvelle vague, ce nouvel engouement pour ce style de musique.
Un engouement probablement teinté de nostalgie pour certains mais qui touche aussi un nouveau public, une nouvelle génération de sympathisants à cette musique.
En juillet 1993 à l'occasion du 70 ème festival de Cornouaille à Quimper, le producteur Jakez Bernard demande à Dan Ar Braz de créer un spectacle pour clôturer ce festival.
Dan va inviter plus de 70 musiciens pour l'occasion (des chanteuses, un pipe-band écossais, Alan Stivell, le bagad Kemper, Donal Lunny).
Cette série de concerts est une réussiste et fait naître le concept de l'Héritage des Celtes.
Columbia (Sony Music) leur propose d'enregistrer un premier disque qui remporte rapidement un très grand succès.
Entre 1994 et 1999, l'Héritage des Celtes va faire de nombreux concerts remplissant de très grandes salles dans toute la France.
Il sera également invité sur des plateaux télé et passera en radio à de nombreuses reprises.
Durant cette période, l'Héritage de Dan Ar Braz va enregistrer quatre cd, un dvd en mettant à l'honneur des artistes comme Gilles Servat, Karen Matheson, Elaine Morgan, Carlos Nunez, Yann-Fanch
Kemener, Didier Squiban...
Des disques qui l'emportent à deux reprises aux Victoires de la Musique.
Une des clé du succès de cet Héritage des Celtes c'est la diversité des genres.
Des choses assez intimistes comme les chansons de Yann-Fanch Kemener accompagné par le sublime piano de Didier Squiban et à côté de cela les brillantes prestations du Bagad Kemper ou encore des
suites de reels et de gigues jouées avec brio par les musiciens Irlandais.
En 1996, une petite partie du groupe est même invitée à représenter la France au concours de l'Eurovision.
Même si le classement ne fut pas extraordinaire, étonnant tout de même de voir une chanson en Breton diffusée à un si large public.
1999, nouveau cd-dvd à l'occasion de "Bretagnes à Bercy.
Puis encore des concerts d'adieu au F.I.L. en 2000 et une participation aux Nuits Celtiques à Paris en 2002.
Si la grande aventure de l'Héritage est à présent terminée, nul doute qu'elle aura fortement marqué de son empreinte l'histoire de la musique celtique contemporaine.
En 1995 un autre raz de marée va secouer fortement la musique des celtes, un raz de marée venu d'Irlande cette fois.
Au départ la chaine de télévision RTE demande à la productrice Moya Doherty de créer un spectacle de 7 minutes devant servir d'interlude durant le concours Eurovision.
Le compositeur Bill Whelan (claviériste et percussionniste) se charge de faire une musique destinée à soutenir des danseurs de claquettes irlandaises ainsi que le groupe vocal "Anuna".
24 danseurs sont engagés dont Michael Flatley et Jean Butler chargés de créer une chorégraphie.
Le jour de l'Eurovision l'interlude en question déclenche une standing ovation incroyable dans le public et ce devant 300 millions de téléspectateurs...Riverdance est né.
En février 1995, première représentation de Riverdance, the Show à Dublin.
Après cela, ce sera l'explosion.
Vente de cd, de vidéos et surtout une série impressionnante de spectacles d'abord en Europe puis aux Etats-Unis puis dans le monde entier.
Au point qu'il y aura même plusieurs troupes pour assurer les tournées sur les divers continents.
La musique de Riverdance est faite de compositions qui s'inspirent fortement de la musique traditionnelle Irlandaise mais aussi d'autres musiques (flamenco, klezmer...).
Des musiciens prestigieux comme Davy Spillane (uilleann pipe), Eileen Ivers (fiddle), Noel Eccles (percussions) accompagnèrent ce show durant plusieurs années.
Rakaniac : des centaines de milliers de personnes qui ont découvert la musique Irlandaise de cette façon.
JF : oui, un engouement incroyable mais je pense, encore plus à cause de la danse que de la musique.
Rakaniac : il faut dire que ces danseurs sont impressionnants et terriblement rapides.
JF : oui, c'est inoui le nombre de pas qu'ils font en une minute.
Rakaniac : et aussi la grâce des danseuses qui par la légèreté de leurs mouvements donnent parfois l'impression de voler.
JF : je vois que tu es amateur, cher ami.
Rakaniac : non pas spécialement car moi c'est avant tout la musique qui m'intéresse mais je suis simplement impressionné, c'est tout.
JF : moi aussi je préfère de loin la musique...mais chacun ses goûts.
Rakaniac : Et bien sûr, cela n'est pas prêt de s'arrêter.
Riverdance a fêté ses 20 ans il y a peu et le show avait également donné naissance à d'autres spectacles comme "Lord of the Dance" (toujours avec Michael Flatley), "Spirit of the Dance"...
De quoi ravir encore très longtemps tous les amateurs du genre.
Rakaniac : Décidément, les années '90 furent des années fastes pour la musique celtique.
JF : Ce n'est pas tout car l'Irlande décidément très versatile a été secouée par un autre séisme durant la seconde partie des années '90.
Et ce avec l'arrivée du groupe "The Corrs".
Jim Corr (guitare et claviers), Caroline Corr (batterie et bodhran) , Sharon Corr (violon et chant) et Andrea Corr (chant et whistle), tous musiciens depuis l'enfance forment ce groupe en 1995.
Le premier album "Forgiven not Forgotten" remporte d'emblée un immense succès.
Les trois soeurs et lleur frère ont été bercés par la musique traditionnelle.
Et même si la musique qu'ils jouent tend d'avantage vers le pop-rock, on sent des influences folk assez marquées dans leur répertoire.
Il y a d'ailleurs certains morceaux traditionnels ou des chansons qui se terminent de façon instrumentale.
La popularité des Corrs dépasse très vite les frontières de l'Irlande et leurs disques se classent très vite au top des hits de très nombreux pays.
A ce jour les Corrs ont vendu plus de 60 millions d'albums.
Il faut dire qu'avec leur charme, leurs voix magnifiques et leurs qualités de musiciennes, ces jeunes femmes ont des arguments pour plaire à un public nombreux.
En 2005, leur album "Home" reprend principalement des chansons traditionnelles irlandaises.
Un disque qui est également tès bien accueilli par le public et qui installe encore un peu plus le groupe parmi les figures de proue de la nouvelle musique Irlandaise.
Nul doute que grâce aux Corrs on aura encore parlé un peu plus de celtique durant cette décennie.
JF : et ça ne s'est pas arrêté là.
Nouvelle révolution, en Bretagne cette fois.
En 1998, Martial Tricoche s'intéresse aux légendes celtiques.
Il écrit un texte de Rap à propos de druides qu'il présente à son ami Cédric Soubiron.
Avec un autre musicien, Hervé Lardic, les trois amis (tous d'origine bretonne) composent alors une musique de Rap à laquelle ils ajoutent un sample du traditionnel breton "Tri Martold".
Sous le nom de Manau, ils enregistent ce titre qu'ils appellent "la Tribu de Dana".
Avec cette chanson (qui va se vendre à plus d'un million d'exemplaires !) Manau va remporter un énorme succès tant en France que dans d'autres pays Européens.
Dans la foulée, le groupe enregistre l'album "Panique Celtique" qui va également très bien se classer dans les hits de plusieurs pays.
En plus de "La tribu de Dana" il y a "Mais qui est la Belette" qui est une reprise de la célèbre chanson des Tri Yann, "La Jument de Michao" ainsi que la reprise d'un morceau du groupe de
fest-noz Ar Re Yaouank.
A partir de 1999, les tournées vont être nombreuses pour Manau dans plusieurs pays d'Europe.
Le "Rap Celtique" est alors à la mode et permettra au groupe de s'imposer aux Victoires de la Musique.
Rakaniac : Et toi, comment as-tu ressenti cette nouvelle vague Celte ?
JF : Je ne suis pas amateur de Rap au départ mais c'est clair que cela faisait plaisir de ré-entendre de la musique celtique dans les médias.
C'était même assez bizarre pour moi d'entendre ma fille qui avait 5 ans à l'époque me chanter La Tribu de Dana.
Un peu comme quand je chantais Tri Martolod à mes parents quand j'avais 15 ans.
Rakaniac : oui une deuxième grande présence médiatique pour la Jument de Michao et Tri Martolod 20 ans plus tard.
JF : je ne vais tout de même pas bouder mon plaisir même s'il faut tout de même nuancer.
Rakaniac : Nuancer ?
JF : oui comme je le disais plus haut les années '90 ont "boosté" fortement la musique Celtique.
A l'époque des artistes qui n'avaient rien à voir avec cette musique se sont soudain sentis attirés par elle.
En France, des chanteurs comme Renaud, Hughes Auffray ont subitement fait un album celtique.
En Irlande Sinead O' Connor a aussi fait un disque de "standards" de la musique irlandaise. Ok, cela peut se comprendre, elle est aussi Irlandaise.
A côté de cela il y a eu toute une série de cd de relaxation "pseudo-celtiques".
Disques dont je ne nie pas les qualités au niveau du bien-être mais dont l'origine celtique me paraît douteuse.
Puis il y a eu tous ces albums de voix féminines "Celtic Women" dans lesquels il y a des reprises de traditionnels mais aussi beaucoup de compositions nouvelles.
D'un point de vue purement artistique ces disques sont très beaux, de jolies voix, de belles musiques agréables à écouter.
Pourtant, ce n'est pas parce qu'on ajoute un peu d'uilleann pipe ou de flûte par-ci, un peu de fiddle par-là que ces chansons ont un caractère celtique.
Pour moi il s'agit de musiques de variétés.
Rakaniac : mais faut-il nécessairement être Celte de pure souche pour pouvoir faire de la musique celtique ?
JF : non, certainement pas, chacun est libre de s'exprimer comme il veut, le tout, je pense, est de rester sincère.
Rakaniac : Et que retiens-tu dès lors de cette deuxième vague celte des années '90.
JF: Enormément de bonnes choses.
D'abord que de nombreux artistes qui étaient déjà actifs dans les années '70 le soient toujours vingt ans après.
Ensuite, que leur travail aie donné envie à toute une série de jeunes de la nouvelle génération de pratiquer cette musique et de la faire évoluer.
Puis bien entendu tous ces grands évènements (Héritage des Celtes, Riverdance, Manau) qui ont fait que cette musique celtique soit beaucoup plus connue du grand public et devenue un genre musical
à part entière.
Evénements qui ont été à la base de l'expansion du Festival de Lorient, de la création des Nuits Celtiques (au stade de France) de la présence d'artistes celtes à l'Eurovision (Riverdance,
L'Héritage des Celtes, Eimar Quinn qui gagna l'édition de 1996).
Des événements qui ont été source d'inspiration pour d'autres spectacles comme le "Celtic Procession" de Jacques Pellen.
Le guitariste Jacques Pellen grand amateur de celtique et de jazz avait pour ce spectacle invité des musiciens venus de divers horizons.
Dans "Celtic Procession" on entend ,entre autre, des musiciens qui improvisent du jazz et sur ces musiques vient se superposer la voix de Erik Marchand qui chante une gavotte en Breton.
C'est assez surprenant mais agréable à écouter.
Autre spectacle d'un tout autre style.
Le compositeur Alan Simon crée en 1999 "Excalibur, la légende des Celtes".
Une épopée musicale qui retrace les légendes du roi Arthur et de la Table Ronde.
Pas moins de 120 musiciens sont invités pour réaliser ce spectacle grandiose : l'orchestre symphonique de Pargue, des choeurs Bulgares, Fairport Convention (folk anglais) , Tri Yann, Carlos
Nunes, Angelo Branduardi, Dan Ar Braz, Dominic Bouchaud (harpe celtique), plusieurs bagads, Roger Hogson (Supertramp), Gabriel Yacoub.
Ce premier opéra celtic-rock sera bien sûr enregistré en cd et dvd en remportera un joli succès en France et dans d'autres pays européens.
Cette réussite inspira Alan Simon qui composa ensuite d'autres fresques musicales (Anne de Bretagne, Tristan et Yseult...).
Rakaniac : des "grosses machines" que tout cela.
JF : je suis de ton avis mais je pense qu'il faut ce genre de locomotives pour qu'une partie du public puisse s'intéresser à ces musiques de manière plus approfondie.
Car derrière ces spectacles "grand public", si on veut faire l'effort d'aller plus loin, il y a de nombreux chanteurs , musiciens qui jouent en duo, en trio et qui valent vraiment la peine.
Un nombre incalculable d'artistes qui méritent d'être découverts.
Rakaniac : on en trouve déjà un certain nombre sur ce blog.
JF : et je pense bien que ce n'est pas fini.
Rakaniac : mais qu'en est-il de la troisième vague Celte ?
JF : ça cher ami, tu le sauras bientôt...